La Constitution de 1791, promulguée quatre mois avant la première constitution française, est la première constitution européenne, inspirée par l’esprit des Lumières et de la Révolution. Elle établit le principe de la séparation des pouvoirs et l’irresponsabilité du roi, elle garantit l’égalité politique totale aux habitants des villes ainsi que les privilèges de la noblesse, qui conserve à la diète l’essentiel du pouvoir politique. Elle place en outre les paysans sous la protection de l’État sans abolir le servage. Tous les titres aristocratiques sont abolis et la dicte accorde le titre héréditaire de duc à plusieurs familles, en reconnaissance des services rendus à la nation.

Contexte historique: Après le premier partage de la Pologne qui l’ampute du tiers de sa population et de 30% de son territoire en 1772, les institutions de la République des Deux-Nations sont mises en cause, notamment la faiblesse du pouvoir royal électif et le recours au liberum veto qui paralyse la diète.

Une diète (la diète de quatre ans) est réunie en 1788 et une commission est chargée de réformer la Constitution. En avril 1791, le roi Stanislas II Auguste Poniatowski, élu par la noblesse polonaise sous bonne garde russe en 1764, impose un projet de Constitution qui sera décrétée par acclamation dans la séance du 3 mai et sanctionnée à l’unanimité dans la séance suivante du 5.

En effectuant une transition rapide d’un système d’anarchie féodale désuet en une monarchie constitutionnelle moderne, la Constitution est conçue pour créer un système de législations modernes en Pologne et abolir les abus de pouvoir, notamment ceux permis par le liberum veto.

Dès la fin de la septième guerre russo-turque, Catherine II, sentant sa suprématie polonaise menacée, riposte en soutenant la confédération de Targowica. Il s’agit d’une union contre la constitution scellée en 1792 à St Pétersbourg avec de grands magnats polonais (Branicki, Rzewuski, Kossakowski…) menés par le comte Stanislas Potocki afin de retourner à l’ancien ordre qui leur assurait des privilèges, notamment celui de juridiction sur leurs paysans. « Au nom de la nation », les confédérés de Targowica réclament une aide de la Russie pour mettre fin à la rébellion qui « menace la sécurité de l’État » et présentent de cette manière leur demande comme une intervention à la demande de la nation polonaise.

Cinq colonnes russes stationnées en Bessarabie entrent en Pologne le 18 mai 1792 et les confédérés tentent de détruire le système gouvernemental, plongeant le pays dans le chaos. Le 24 juillet 1792, le Conseil d’État déclare que le roi est obligé de signer l’accord de confédération de Targowica, déclenchant la démission et l’émigration de bon nombre de dignitaires. S’en suivra le deuxième partage de la Pologne au profit de la Russie (13 juillet 1793) et de la Prusse (23 septembre 1793).

La République est désormais un strict protectorat russe, en pleine crise économique à cause de la désorganisation du marché intérieur. La radicalisation de la société suscite un soulèvement, lancé depuis Cracovie par Tadeusz Kościuszko. Ses succès initiaux ne renversèrent pas suffisamment un rapport de force favorable aux Russes et aux Prussiens. Malgré l’appel de Kościuszko aux serfs et l’engagement de certains Juifs, les insurgés purent surtout compter sur la petite noblesse et la population de Varsovie, Cracovie et Wilno. Le soulèvement prit fin à l’automne 1794 (bataille de Maciejowice (octobre), massacre de Praga (novembre)). Les vainqueurs, rejoints par l’Autriche, procédèrent alors le 3 janvier 1795 au troisième partage de la Pologne, rayant ainsi le pays de la carte.

En 1798, décède à l’âge de 66 ans Stanislas-Auguste Poniatowski, dernier roi de Pologne. Au cours des crises qui suivirent, la Constitution du 3 Mai – restée dans le domaine des intentions – servit de lueur d’espoir au peuple polonais.


NB1: La République des Deux-Nations est l’Union du Royaume de Pologne et du Grand-Duché de Lituanie scellée par l’acte de Lublin, du 1er Juillet 1569. Cette union durera jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, et prendra fin avec les annexions successives du territoire par l’Empire de Russie, le Royaume de Prusse et l’Empire d’Autriche.


NB2: Le Liberum veto (du latin, littéralement « j’interdis librement ») était un outil parlementaire dans la république des Deux Nations, qui autorisait n’importe quel député de la diète polonaise (Sejm) à forcer un arrêt immédiat de la session en cours et annuler toutes décisions en cours.

Cette règle évolua en principe d’unanimité. Chaque député du Sejm représentait un Sejmik (un Sejm régional) et donc une région entière pour toutes les décisions prises au Sejm. Une décision à la majorité contre la volonté d’une minorité était vu comme une violation de principe d’équité politique.

La première utilisation du liberum veto a été faite par Władysław Siciński, député de Trakai, en 1652. Il déposa un veto contre la continuation des délibérations après le dépassement de la limite de temps de session. La première utilisation comme réel veto a été faite en 1669 à Cracovie par Adam Olizar, député de Kiev.

Dans la première moitié du XVIIIe siècle, il devint de plus en plus fréquent pour les sessions du Sejm d’être arrêtées par liberum veto. Il suffisait en effet que le client d’un clan s’oppose à une loi pour la bloquer. En leur offrant de larges subsides, les puissances voisines, notamment la Russie et la Prusse,  y trouvaient également un moyen commode de prolonger la paralysie du pays. 13 des 14 diètes réunies sous Auguste III se séparèrent sans avoir rien voté…


L’adoption de la Constitution du 3 mai 1791, Jan Matejko (1838, Cracovie – 1893, Cracovie)
Représentation du roi Stanislas-Auguste Poniatowski entrant dans la Cathédrale St Jean entouré de membres de la diète et d’habitants de Varsovie, juste après que la Constitution ait été adoptée par la diète. On distingue le Palais Royal à l’arrière-plan.

Texte de la Constitution du 3 mai 1791 (traduction: Digithèque de matériaux juridiques et politiques)

Au nom de Dieu, seul en Trinité,

Stanislas-Auguste, par la grâce de Dieu et la volonté de la nation, roi de Pologne, grand-duc de Lituanie, de Russie, de Prusse, de Mazovie, de Samogitie, de Kiovie, de Volhynie, de Podolie, de Poldachie, de Livonie, de Smolensk, de Novgorod-Sieviersk et de Czerniechovie ; conjointement avec les États confédérés en nombre double, représentant la nation polonaise.

Persuadés que la perfection et la stabilité d’une nouvelle constitution nationale peuvent seuls assurer notre sort à tous;
éclairés par une longue et funeste expérience sur les vices invétérés de notre gouvernement;
voulant mettre à profit les conjonctures où se trouve aujourd’hui l’Europe, et surtout les derniers instants de cette époque heureuse qui nous a rendus à nous mêmes;
relevés du joug flétrissant que nous imposait une prépondérance étrangère;
mettant au-dessus de notre félicité individuelle, au-dessus même de la vie, l’existence politique, la liberté à l’intérieur et l’indépendance au dehors de la nation dont la destinée nous est confiée;
voulant nous rendre digne des vœux et de la reconnaissance de nos contemporains, ainsi que de la postérité;
armés de la fermeté la plus décidée, et nous élevant au-dessus de tous les obstacles que pourraient susciter les passions;
n’ayant en vue que le bien public et voulant assurer à jamais la liberté de la Nation et l’intégrité de tous ses domaines ;
Nous décrétons la présente Constitution et la déclarons dans sa totalité sacrée et immuable, jusqu’à ce qu’au terme qu’elle prescrit elle-même, la volonté publique ait expressément reconnu la nécessité d’y faire quelques changements; voulant que tous les règlements ultérieurs de la présente diète soient en tout conformes à cette Constitution.

I. Religion de l’État.
La religion catholique, apostolique et romaine est et restera à jamais la religion nationale, et ses lois conserveront toute leur vigueur. Quiconque abandonnerait son culte pour tel autre que ce soit encourra les peines portées contre l’apostasie. Cependant, l’amour du prochain étant un des préceptes les plus sacrés de cette religion, nous devons à tous les hommes, quelle que soit leur profession de foi, une liberté de croyance entière, sous la protection du gouvernement ; en conséquence, nous assurons dans toute l’étendue des domaines de Pologne un libre exercice à toutes les religions, à tous les cultes, conformément aux lois portées à cet égard.

II. Nobles propriétaires de terres.
Plein de vénération pour la mémoire de nos ancêtres, honorant en eux les créateurs d’un gouvernement libre, nous garantissons, de la manière la plus solennelle, au corps de la noblesse, toutes ses immunités, libertés et prérogatives, ainsi que la prééminence qui lui compète dans la vie privée comme dans la vie publique, et nommément les droits et privilèges concédés à cet état par Casimir-le-Grand, Louis de Hongrie, Ladislas Jagellon, et Witold son cousin, grand duc de Lituanie, ainsi que par Ladislas et Casimir, tous les deux Jagellon, par Jean Albert, Alexandre et Sigismond ; enfin par Sigismond-Auguste, le dernier de la famille des Jagellon, lesquels privilèges nous approuvons, confirmons et reconnaissons être à jamais irrévocables.

Déclarons l’état noble de Pologne égal en dignité à celui de tous les autres pays ; établissons l’égalité la plus parfaite entre tous les membres de ce corps, non seulement quant au droit de posséder dans la république toute espèce de charges, et de remplir toutes fonctions honorables et lucratives ; mais aussi, quant à la liberté de jouir d’une manière uniforme de toutes les immunités et prérogatives attribuées à l’ordre équestre. Voulons surtout que la liberté et la sûreté individuelle, la propriété de tous les biens meubles et immeubles soient à jamais, et de la manière la plus religieuse, respectées dans chaque citoyen et mises à l’abri de toute atteinte, comme elles l’on été de temps immémorial ; garantissons solennellement que dans les lois à statuer, nous ne laisserons introduire aucun changement ou restriction qui puisse porter le moindre préjudice à la propriété de qui que ce soit ; et que, ni l’autorité suprême de la nation, ni les agents du gouvernement établis par elle, ne pourront sous prétexte de droits royaux ou tels autres que ce soit, formuler aucune prétention à la charge de ces propriétés prises dans leur totalité ou dans leurs parties. C’est pourquoi, respectant la sûreté personnelle et la propriété légale de tout citoyen, comme le premier lien de la société et le fondement de la liberté civile, nous les confirmons, assurons et garantissons, et nous voulons que, respectées dans tous les siècles, elles restent à jamais intactes.

Reconnaissons les membres de l’ordre équestre pour les premiers défenseurs de la liberté et de la présente Constitution, et confions à la vertu, au patriotisme et à l’honneur de chaque gentilhomme, le soin de les faire respecter l’une et l’autre, comme il devra les respecter lui-même, et de veiller surtout au maintien de cette Constitution, qui seule peut devenir le boulevard de la patrie et le garant de nos droits communs.

III. Villes et bourgeois.
Voulons que la loi décrétée par la présente diète, sous le titre de Nos villes royales déclarées libres dans toute l’étendue des domaines de la République, ait une pleine et entière vigueur ; que cette loi, qui donne une base vraiment nouvelle, réelle et efficace à la liberté de l’ordre équestre, ainsi qu’à l’intégrité de notre patrie commune, soit regardée comme faisant partie de la présente Constitution.

IV. Colons et autres habitants de la campagne.
Comme c’est de la main laborieuse des cultivateurs que découle la source la plus féconde de la richesse nationale, comme leur corps forme la majeure partie de la population de l’État et que, par une suite nécessaire, c’est lui qui constitue la force principale de la République ; la justice, l’humanité, ainsi que notre intérêt bien entendu, sont autant de motifs puissants qui nous prescrivent de recevoir cette classe d’hommes précieuse sous la protection immédiate de la loi et du gouvernement. A ces causes, statuons que désormais toutes conventions arrêtées authentiquement entre les propriétaires et leurs colons, stipulant, en faveur de ces derniers, quelques franchises ou concessions, sous telles ou telles clauses, soit que lesdites conventions aient été conclues avec la communauté entière, ou séparément avec chaque habitant de village, deviendront, pour les deux parties contractantes, une obligation commune et réciproque, et cela, suivant l’énonciation expresse desdites clauses, et la teneur du contrat garant de cet accord, sous la protection du gouvernement. Ces conventions particulières et les obligations qu’elles imposeront, une fois qu’elles seront acceptées par un propriétaire de biens-fonds, seront tellement obligatoires pour lui, ses héritiers ou les acquéreurs desdits fonds, qu’ils n’auront le droit d’y faire seuls et par eux-mêmes aucune espèce de changement. Respectivement, les colons ne pourront déroger à ces conventions, ni se dégager des obligations auxquelles ils se seront soumis de plein gré, quelle que soit la nature de leurs possessions, que de la manière et suivant les causes stipulées dans le contrat mentionné : lesquelles clauses seront obligatoires pour eux ou pour toujours, ou pour un temps, suivant l’énoncé dudit contrat.

Ayant, par ce moyen, assuré aux propriétaires des biens-fonds, tous les émoluments et avantages qu’ils ont le droit d’exiger de leurs colons ; et voulant encore encourager, de la manière la plus efficace, la population dans les domaines de la République, nous assurons la liberté la plus entière aux individus de toutes les classes, tant aux étrangers qui viendront s’établir en Pologne qu’aux nationaux qui, après avoir quitté leur patrie, voudraient rentrer dans son sein. Ainsi, tout homme, étranger ou national, dès l’instant qu’il mettra le pied sur les terres de la Pologne, pourra librement, et sans aucune gêne, faire valoir son industrie de la manière et dans tel endroit que bon lui semblera ; il pourra arrêter à son gré et pour le temps qu’il le voudra, telles conventions que bon lui semblera, relativement à l’établissement qu’il désire former, sous clause de paiement en argent ou en main d’œuvre. Il pourra encore se fixer, à son choix, à la ville ou à la campagne ; enfin il pourra ou rester en Pologne ou la quitter, s’il le juge à propos, après avoir préalablement satisfait à toutes les obligations qu’il y aura volontairement contractées.

V. Gouvernement, ou caractère des pouvoirs publics.
Dans la société, tout pouvoir émane essentiellement de la volonté de la Nation. Afin donc que l’intégrité des domaines de la République, la liberté des citoyens et l’administration civile restent à jamais dans un parfait équilibre, le gouvernement de Pologne devra réunir, en vertu de la présente Constitution, et réunira en effet trois genres de pouvoirs distincts : l’autorité législative, qui résidera dans les états assemblés ; le pouvoir exécutif suprême, dans la personne du roi et dans le conseil de surveillance ; et le pouvoir judiciaire, dans les magistratures déjà établies, ou qui le seront à cet effet.

VI. Diète, ou pouvoir législatif.
La Diète, ou assemblée des États sera partagée en deux chambres : celle des nonces et celle des sénateurs, laquelle sera présidée par le roi.

La chambre des nonces, étant l’image et le dépôt du pouvoir suprême de la nation, sera le vrai sanctuaire des lois. C’est dans cette chambre que seront décidés en premier lieu tous projets relatifs,
aux lois générales, c’est-à-dire aux lois constitutionnelles, civiles et pénales, comme aussi aux impôts permanents. Pour la décision de tous ces objets, les propositions émanées du trône, lesquelles auront été soumises à la discussion des palatinats, terres et districts et portées ensuite dans la chambre, en vertu des instructions données aux nonces, devront être prises les premières en délibération.
à tous autres arrêtés des diètes, tels que impôts temporaires, valeur des monnaies, emprunts publics, anoblissements et autres récompenses accidentelles, état des dépenses publiques, ordinaires et extraordinaires, déclaration de guerre, conclusion de paix, ratification définitive des traités d’alliances et de commerce, tous actes diplomatiques et conventions ayant trait au droit des nations, quittances et témoignages à rendre aux magistrats préposés au pouvoir exécutif, et tous autres objets publics de première importance. Dans toutes ces matières, la préférence est donnée aux propositions émanées du trône, lesquelles devront être portées directement dans la chambre des nonces.

La chambre des sénateurs, présidée par le roi, sera composée des évêques, des palatins, des castellans et des ministres. Le roi aura le double droit et de donner sa voix, et de résoudre la parité, quand elle aura lieu ; ce qu’il fera en personne, ou par mission, quand il ne siégera pas.

Le droit de cette chambre sera :
d’accepter ou de suspendre jusqu’à une nouvelle délibération de la nation, et cela à la pluralité des voix, telle qu’elle sera déterminée par la présente Constitution, toute loi qui, après avoir passé, suivant les formes légales, dans la chambre des nonces, devra être renvoyée sur-le-champ à celle des sénateurs. Cette acceptation donnera à la loi proposée la sanction qui peut seule la mettre en vigueur. La suspension ne fera qu’en arrêter l’exécution jusqu’à la première diète ordinaire, à laquelle, si la chambre législative s’accorde à renouveler la même loi, le sénat ne pourra plus refuser de la sanctionner.
dans les arrêtés des diètes, relatifs aux objets ci-dessus spécifiés, la chambre des nonces devra sur-le-champ communiquer ses arrêtés à cet égard à celle des sénateurs, afin que les décisions sur ces matières soient portées à la pluralité des voix des deux chambres ; laquelle pluralité, légalement énoncée, deviendra l’interprète de la volonté suprême des États. Statuons que les sénateurs et les ministres dans tous les cas où ils auront à justifier de leurs opérations tant dans le conseil de surveillance, que dans une commission quelconque, n’auront point voix décisive à la diète, et ne siégeront alors au sénat que pour donner les explications et les éclaircissements que pourra exiger d’eux l’assemblée des états.

La diète sera censée permanente ; les représentants de la nation, nommés pour deux ans, devront être toujours prêts à se rassembler.

La diète législative ordinaire se tiendra tous les deux ans, et demeurera le temps fixé dans l’article séparé sur l’organisation des diètes. Les assemblées nationales qui seront convoquées dans les circonstances pressantes et extraordinaires, ne pourront statuer que sur les objets pour lesquels elles auront été convoquées, ou sur ceux qui seraient survenus depuis la convocation.

Aucune loi décrétée dans une diète ordinaire ne pourra être abrogée dans la même diète.

L’assemblée des états, pour être complète, devra être composée du nombre des membres qui sera déterminé dans l’article ci-dessus mentionné, tant pour la chambre des nonces que pour celle des sénateurs.

Quant aux règles à observer dans la tenue des diétines, nous confirmons de la manière la plus solennelle, la loi décrétée à cet égard par la présente diète, regardant cette loi comme le premier fondement de la liberté civile.

Le pouvoir législatif ne pouvant être exercé par tout le corps des citoyens, et la nation se suppléant elle-même par ses représentants ou nonces librement élus, statuons que les nonces nommés dans les diétines, réunissant dans leurs personnes le dépôt sacré de la confiance publique, doivent, en vertu de la présente Constitution, être envisagés comme les représentants de la nation entière, tant pour ce qui concerne la législation, que pour ce qui a trait aux besoins de l’État en général.

Dans tous les cas sans exception, les arrêtés de la Diète seront portés à la pluralité des voix ; c’est pourquoi nous abrogeons à jamais le liberum veto, les confédérations de toute espèce, ainsi que les diètes confédérées, comme contraires à l’esprit de la présente Constitution, tendantes à détruire les ressorts du gouvernement et à troubler la tranquillité publique.

Voulant, d’un côté, prévenir les changements précoces et trop fréquents qui pourraient s’introduire dans notre Constitution nationale ; de l’autre, sentant le besoin de lui donner, dans la vue d’accroître la félicité publique, ce degré de perfection que peut seule déterminer l’expérience fondée sur les effets qui en résulteront ; fixons à tous les 25 ans le terme auquel la nation pourra travailler à la révision et à la réforme de ladite Constitution ; voulant qu’il soit convoqué alors une diète de législation extraordinaire, suivant les formes qui seront prescrites séparément pour sa tenue.

VII. Le roi, le pouvoir exécutif
Aucun gouvernement, fut-il le plus parfait, ne peut subsister si le pouvoir exécutif n’y est doué de la plus haute énergie.

Des lois justes font le bonheur des nations ; et, de l’exécution de ces lois, dépend tout leur effet. L’expérience nous a prouvé que c’est au peu d’activité qu’on a donné à cette partie du gouvernement, que la Pologne doit tous les maux qu’elle a éprouvés. A ces causes, après avoir assuré à la nation polonaise libre, et ne dépendant que d’elle seule, le droit de se créer des lois, de surveiller toutes les parties de l’autorité exécutrice, de choisir elle-même tous les officiers publics employés dans ses diverses magistratures, nous confions l’exécution suprême des lois, au roi, en son conseil qui sera désigné sous le nom de conseil de surveillance.

Le pouvoir exécutif sera strictement tenu de surveiller l’exécution des lois, et de s’y conformer le premier. Il sera actif par lui-même dans tous les cas où la loi le lui permet ; tels sont ceux où elle a besoin de surveillance, d’exécution et même d’une force coactive.

Toutes les magistratures lui doivent obéissance entière ; aussi lui remettons-nous le droit de sévir, s’il le faut, contre celles de ces magistratures qui négligeraient leurs devoirs, ou qui seraient réfractaires à ses ordres.

Le pouvoir exécutif ne pourra ni porter des lois, ni même les interpréter, ni établir d’impôts, ou autres contributions, sous quelque dénomination que ce puisse être ; ni contracter des dettes publiques, ni se permettre le moindre changement dans la distribution des revenus du trésor, déterminée par l’assemblée des états, ni faire des déclarations de guerre, ni enfin arrêter définitivement des traités de paix, ou tels autres traités ou actes diplomatiques quelconques. Il ne pourra qu’entretenir avec les cours étrangères des négociations temporaires, et pourvoir à ce que pourraient exiger, dans les cas ordinaires ou momentanés, la sûreté et la tranquillité de l’État ; opérations dont il sera tenu de rendre compte à la plus prochaine assemblée des états.

Nous déclarons le trône de Pologne électif, mais par famille seulement. Tous les revers qui ont été la suite du bouleversement qu’a périodiquement éprouvé la constitution à chaque interrègne, l’obligation, essentielle pour nous, d’assurer le sort de la Pologne et d’opposer la plus forte digue à l’influence des puissances étrangères, le souvenir de la gloire et de la prospérité qui ont couronné notre patrie sous le règne non interrompu de rois héréditaires, la nécessité pressante de détourner, et les étrangers, et les nationaux puissants de l’ambition de régner sur nous, et d’exciter au contraire, dans ces derniers, le désir de cimenter de concert la liberté nationale : tous ces motifs réunis ont indiqué à notre prudence d’établir une fois pour toujours la succession du trône comme le seul moyen d’assurer notre existence politique. En conséquence, décrétons qu’après le décès du roi, heureusement régnant aujourd’hui, le sceptre de Pologne passera à l’électeur de Saxe actuel, et que la dynastie des rois futurs commencera dans la personne de Frédéric-Auguste. Voulant que la couronne appartienne de droit à ses héritiers mâles. Le fils aîné du roi régnant succédera toujours à son père, et dans le cas où l’électeur de Saxe actuel ne laisserait point d’enfant mâle, le prince que cet électeur donnera pour mari à sa fille, de l’aveu des états assemblés, commencera, en Pologne l’ordre de succession en ligne masculine. A ces fins, nous déclarons Marie-Auguste Népomucène, fille de l’électeur de Saxe, infante de Pologne, conservant du reste à la nation le droit imprescriptible de se choisir, pour la gouverner, une seconde famille, après l’extinction de la première. En montant sur le trône, chaque roi sera tenu de faire à Dieu et à la nation le serment de se conformer à la présente Constitution, de satisfaire à toutes les conditions du pacte qui sera arrêté avec l’électeur régnant de Saxe, comme avec celui auquel est destiné le trône ; pacte qui deviendra obligatoire pour lui comme l’étaient les anciens pactes avec nos rois.

La personne du roi sera à jamais sacrée et hors de toute atteinte. Ne faisant rien par lui-même, il ne peut être responsable de rien envers la nation. Loin de pouvoir jamais s’ériger en monarque absolu, il ne devra se regarder que comme le chef et le père de la Nation : tel est le titre que lui donnent, tel est le caractère que reconnaissent en lui la loi et la présente Constitution.

Les revenus qui seront assignés au roi par les pacta conventa, ainsi que les prérogatives attribuées au trône et garanties par la présente Constitution en faveur de l’électeur futur, seront à jamais à l’abri de toute atteinte.

Les tribunaux, magistratures et juridictions quelconques dresseront tous les actes publics au nom du roi ; les monnaies et les timbres porteront son empreinte. Le roi devant avoir le pouvoir le plus étendu de faire le bien, nous lui réservons le droit de faire grâce aux coupables condamnés à mort toutes les fois qu’il ne s’agira point de crime d’État. C’est au roi qu’appartiendra encore le commandement des troupes en temps de guerre, et la nomination de tous les commandants, sauf le droit réservé à la nation d’en demander le changement. Il sera autorisé à patenter tous les officiers militaires, comme à nommer les officiers civils, de la manière qui sera prescrite à cet égard, dans le détail séparé des divers articles de la présente Constitution ; ce sera encore à lui qu’appartiendra la nomination des évêques, des sénateurs, des ministres et des premiers agents du pouvoir exécutif, et cela conformément au détail ci-dessus mentionné.

Le conseil, chargé de surveiller, de concert avec le roi, l’exécution des lois et leur intégrité, sera composé
du primat, comme chef du clergé, et président de la commission d’éducation, lequel pourra être suppléé par celui des évêques qui sera le premier en rang (ceux-ci ne pourront signer aucun arrêté) ;
de cinq ministres, savoir : le ministre de la police, le ministre du sceau, le ministre de la guerre, le ministre du trésor, et le chancelier, ministre des affaires étrangères ;
de deux secrétaires d’État, dont l’un tiendra le protocole du conseil, et l’autre celui des affaires étrangères ; tous les deux sans voix décisive.

L’héritier du trône, dès qu’il sera parvenu à l’âge de raison, et qu’il aura prêté serment sur la constitution nationale, pourra assister à toutes les séances du conseil ; mais il n’y aura point de voix.

Le maréchal de la diète, nommé pour deux ans, siégera aussi dans le conseil de surveillance ; mais sans pouvoir entrer dans aucune de ses déterminations, et seulement afin de convoquer la diète censée toujours assemblée, dans les cas où il verrait une nécessité absolue de faire cette convocation ; et si le roi s’y refusait, pour lors ledit maréchal sera tenu d’adresser à tous les nonces et sénateurs une lettre circulaire dans laquelle il les engagera à s’assembler en diète, et leur détaillera tous les motifs qui nécessitent cette réunion. Les cas qui exigeront absolument la convocation de la diète ne pourront être que les suivants :
Tous les cas urgents qui auraient trait au droit des nations, surtout celui d’une guerre voisine des frontières;
Des troubles domestiques qui feraient craindre une révolution dans l’État, ou quelque collision entre les magistratures;
Le danger d’une disette générale;
Lorsque le nation se trouverait privée de son roi par la mort ou par une maladie dangereuse.

Tous les arrêtés du conseil seront discutés par les divers membres qui le composent. Après avoir ouï tous les avis, le roi prononcera le sien, lequel doit toujours l’emporter, afin qu’il règne une volonté uniforme dans l’exécution des lois. En conséquence, tout arrêté du conseil sera décrété au nom du roi et signé de sa main ; cependant il devra être aussi contre-signé par un des ministres siégeant au conseil ; et muni de cette double signature, il deviendra obligatoire et devra être mis à exécution, soit par les commissions, soit par toute autre magistrature exécutrice ; mais seulement pour les objets qui ne sont point expressément exceptés par la présente Constitution. S’il arrivait qu’aucun des ministres siégeant au conseil ne voulût signer l’arrêté en question, le roi devra s’en désister ; et dans le cas où il persisterait à en exiger l’acceptation, le maréchal devra réclamer la convocation de la diète permanente, et la convoquera lui-même, si le roi cherchait à l’éloigner.

La nomination des ministres appartiendra au roi, aussi bien que le droit de choisir d’entre ses ministres celui de chaque département qu’il lui plaira d’admettre à son conseil. Cette admission aura lieu pour deux ans, sauf le droit de confirmation qui, ce terme expiré, sera dévolu au roi. Les ministres, qui auront place dans le conseil, ne pourront siéger dans les commissions. Si dans la diète, la pluralité des deux tiers des voix secrètes des deux chambres réunies demandait le changement d’un ministre dans le conseil ou dans telle autre magistrature, le roi devra sur-le-champ en nommer un autre à sa place.

Voulant que le conseil soit tenu de répondre strictement de toute infraction qui pourrait avoir lieu dans l’exécution des lois dont la surveillance lui est confiée, nous statuons que les ministres qui seront accusés d’une infraction de ce genre, par le comité chargé de l’examen de leurs opérations, seront responsables sur leurs personnes et leurs biens. Toutes les fois que de telles plaintes auront lieu, les états assemblés renverront les ministres accusés au jugement de la diète, et cela à la simple pluralité des voix des deux chambres, pour y être condamnés à la peine qu’ils auront méritée, laquelle sera proportionnée à leur prévarication, ou pour être renvoyés absous, si leur innocence est évidemment reconnue.

Pour mettre d’autant plus d’ordre et d’exactitude dans l’exercice du pouvoir exécutif, établissons des commissions particulières qui seront liées avec le conseil et tenues de remplir ses ordres.

Les commissaires qui devront y siéger seront élus par les états assemblés, et rempliront jusqu’au terme fixé par la loi les fonctions attachées à leurs charges.

Ces commissions sont celles : 1° d’éducation ; 2° de police ; 3° de la guerre ; 4° du trésor.

Les commissions du bon ordre que le présente diète a établies dans les palatinats, seront de même soumises à la surveillance du conseil, et devront satisfaire aux ordres qu’elles recevront des commissions intermédiaires mentionnées ci-dessus, et cela respectivement aux objets relatifs à l’autorité et aux obligations de chacune d’elles.

VIII. Pouvoir judiciaire
Le pouvoir judiciaire ne peut être exercé par l’autorité législative, ni par le roi, mais par des magistratures choisies et instituées à cet effet. Ces magistratures seront fixées et réparties de manière qu’il n’y ait personne qui ne trouve à sa portée la justice qu’il voudra obtenir, et que le coupable voie partout le glaive du pouvoir suprême prêt à s’appesantir sur lui. En conséquence nous établissons :
Dans chaque palatinat, terre et district, des juridictions de première instance composées des juges élus aux diétines ; lesquelles juridictions, dont le premier devoir sera une vigilance non interrompue, devront être toujours prêtes à rendre justice à ceux qui la réclameront. L’appel des sentences qui y seront rendues se portera aux tribunaux suprêmes qui seront établis dans chaque province, et composés de même de membres nommés aux diétines. Ces tribunaux, en première comme en dernière instance, seront réputés juridictions territoriales, et jugeront toutes les causes de droit et de fait entre les nobles ou autres possesseurs de terres, et telles autres personnes que ce soit.
Confirmons les juridictions municipales établies dans toutes les villes, suivant la teneur de la loi portée par le présente diète en faveur des villes royales libres.
Voulons que chaque province séparément ait un tribunal appelé référendorial, où seront jugées les causes des colons libres ; lesquels , en vertu des anciennes constitutions, doivent ressortir à ces magistratures.
Conservons dans leur ancien état nos cours royales et assessoriales, celles de relation, ainsi que celle qui est établie pour les procès des habitants du duché de Courlande.
Les commissions exécutives tiendront des jugements séparés pour toutes les causes relatives à leur administration.
Outre les tribunaux pour les causes civiles et criminelles, établis en faveur de toutes les classes des citoyens, il y aura un tribunal suprême désigné sous le nom de Jugement de la diète. A l’ouverture de chaque assemblée des états, seront nommés, par voie d’élection, les membres qui devront y siéger. Ce tribunal connaîtra de tous les crimes contre la nation et le roi, c’est-à-dire des crimes d’État. Voulons qu’il soit rédigé un nouveau code civil et criminel, par des personnes que la diète désignera à cet effet.

IX. Régence
Le conseil de surveillance ayant à sa tête la reine, et, en son absence, le primat, sera en même temps un conseil de régence. Elle ne pourra avoir lieu que dans les trois cas suivants : pendant la minorité du roi ; si une aliénation d’esprit constante mettait le roi hors d’état de remplir ses fonctions ; s’il était fait prisonnier de guerre.

La minorité du roi finira à l’âge de dix-huit ans révolus ; et sa démence ne pourra être regardée comme constante que lorsqu’elle sera déclarée telle par la diète permanente, à la pluralité des voix des deux chambres réunies. Dans ces trois cas, le primat de la couronne devra sur-le-champ convoquer les états de la diète, et s’il différait de s’acquitter de ce devoir, ce sera le maréchal de la diète qui sera tenu d’adresser, à cet effet, des lettres de convocation aux nonces et aux sénateurs. La diète permanente déterminera l’ordre dans lequel les ministres devront siéger au conseil de régence, et autorisera la reine à remplir les fonctions du roi. Lorsque dans le premier cas le roi sortira de minorité, que dans le second il aura recouvré la jouissance de ses facultés intellectuelles, et que dans le troisième il sera rendu à ses États, le conseil de régence sera comptable envers lui de toutes ses opérations, et responsable envers la nation sur la personne et les biens de chacun de ses membres, pour tout le temps de son administration, et cela suivant la teneur de la Constitution, à l’article du conseil de surveillance.

X. Éducation des princes royaux
Les fils des rois, que la présente Constitution destine à succéder au trône, doivent être regardés comme les premiers des enfants de la patrie. Ainsi, c’est à la Nation qu’appartiendra le droit de surveiller leur éducation, sans pourtant porter préjudice aux droits de la paternité. Du vivant du roi, et tant qu’il régira par lui-même, il s’occupera de l’éducation de ses fils, de concert avec le conseil de surveillance et le gouverneur que les états auront proposé à l’éducation des princes. Pendant la régence, c’est à ce même conseil et à ce gouverneur que sera confiée leur éducation. Dans les deux cas, le gouverneur sera tenu de rendre compte à chaque diète ordinaire, et de la manière dont les jeunes princes seront élevés et des progrès qu’ils auront faits. Enfin, il sera du devoir de la commission d’éducation de rédiger pour eux, sous l’approbation des états, un plan d’instruction, et cela afin que, dirigés d’après des principes constants et uniformes, les futurs héritiers du trône se pénètrent de bonne heure des sentiments de religion, de vertu, de patriotisme, d’amour de la liberté et de respect pour la Constitution nationale.

XI. Armée nationale
La nation se doit à elle-même de se mettre en défense contre toute attaque qui pourrait porter atteinte à son intégrité. Ainsi tous les citoyens sont les défenseurs nés des droits et de la liberté de la nation. Une armée n’est autre chose qu’une partie détachée de la force publique, soumise à un ordre plus régulier et toujours en état de défense. La nation doit à ses troupes, et son estime, et des récompenses proportionnées à leur dévouement pour la défense de l’État ; les troupes doivent à la nation de veiller à la sûreté de ses frontières ainsi qu’au maintien de la tranquillité publique, en un mot elles doivent être le bouclier le plus ferme de la République. Mais afin qu’elles ne puissent jamais s’écarter de l’objet de leur destination, elles doivent être constamment subordonnées au pouvoir exécutif, conformément aux règlements qui seront portés à cet égard ; en conséquence, elles seront tenues de faire à la nation et au roi un serment de leur rester fidèles, et d’être les premiers défenseurs de la Constitution nationale. D’après cela, les troupes peuvent être employées pour la défense de l’État en général, et celle des frontières et forteresses, ou pour seconder la force exécutrice dans les cas de réfraction aux lois de la part de qui que ce soit.


Ressources:
Version en polonais du texte de la Constitution (université Jagellon).
La constitution de la Pologne, du 3 mai 1791, édition Dorsenne, Paris, 1791 ; P.-A. Dufau, J.-B. Duvergier et J. Guadet
Collection des constitutions, chartes et lois fondamentales des peuples de l’Europe et des deux Amériques, Béchet ainé libraire-éditeur, 1823, tome IV
Digithèque de matériaux juridiques et politiques
Ecole Normale Supérieure

 

Share This