Batory, roi de l’affiche, reçoit au Louvre (*)

 

L’APGEF remercie chaleureusement notre correspondante Joanna Kujawska pour la mise à disposition de 5 articles de fond publiés en 2011 relatant le parcours d’artistes polonais contemporains de renommée internationale. Ce premier écrit a été publié dans les ECHOS DE POLOGNE en février 2011 et figure sur notre site avec l’aimable autorisation de l’auteur.

 

Michal Batory inaugurait l’année 2011 avec éclat:

le Musée des Arts Décoratifs du Louvre lui a consacré une rétrospective du 20 janvier au 30 avril.


 

L’œuvre de Batory est une véritable poésie visuelle. L’artiste excelle dans l’art du message graphique. Son langage plastique interpelle, renseigne, déride. Chaque événement culturel auquel il apporte son concours est une occasion d’offrir une représentation esthétique métaphorique, symbolique, allégorique…
L’exposition « Michal Batory, artisan de l’affiche », ce grand rendez-vous graphique parisien, retrace sur 750 m², trente ans de travail d’exception de l’artiste. Il se réfère autant à ses racines artistiques constructivistes et surréalistes de l’école polonaise de l’affiche qu’à l’observation de l’univers quotidien culturel et social français dans lequel il vit et travaille. Fortement ancré dans le paysage artistique contemporain il règne sur la scène culturelle française et européenne.

Les affichistes, « aiguilleurs de la rétine »

La genèse de l’affiche remonte au début du modernisme et à l’essor technique du XIXe siècle : nouvelles tendances dans l’art en rupture avec les traditions, recherche de l’originalité et de formes inédites d’expression, fabrication industrielle de masse et sa réclame, gros tirages lithographiques en couleurs… Le graphisme novateur de Toulouse-Lautrec produit un choc en fixant l’éphémère de la vie nocturne parisienne. Au début du XXe siècle, plusieurs courants contribuent à l’évolution de l’art de l’affiche: Symbolisme, Art Nouveau, Cubisme, Constructivisme russe avec Tatlin, Rodtchenko, Lissitzky, travaux avant-gardistes constructivistes polonais de Strzeminski, Kobro, Szczuka, Stażewski constituant à ce jour une référence plastique incontournable.
Dans l’après-guerre, née dans le creuset de la propagande, l’affiche polonaise soc-réaliste appelle à la reconstruction, évoque le parti et glorifie le travail, mais son langage codé devient en même temps celui de l’opposition. Mondialement connue, l’affiche culturelle polonaise illustre le théâtre, le cinéma, l’opéra, le cirque et rassemble des graphistes talentueux comme Tomaszewski, Lenica, Młodożeniec, Starowieyski, Trepkowski, Świerzy, Cieślewicz. Leur iconographie libre et audacieuse éveille les consciences. Roman Cieślewicz baptisera ce métier aiguilleur de la rétine, Jan Lenica, autre monstre sacré de l’affiche traitera cette création de bizarrerie, du chameau ailé. Autant de sources d’inspiration pour le langage inédit de Michal Batory.

Devenir peintre, « tout en haut de l’échelle »

Batory est né en 1959 dans la ville de Lodz connue pour son industrie textile, ses manufactures rouge-brique de tissage aujourd’hui réhabilitées en musées et galeries, pour l’École Nationale Supérieure du Cinéma, l’École Supérieure d’Arts Plastiques fondée par l’artiste Wladyslaw Strzeminski. Le célèbre Musée d’Art de Lodz est l’un des premiers musées d’art contemporain au monde, créé par les artistes, pour les artistes, il assemble une riche collection d’œuvres des avant-gardes polonaises et internationales.
L’enfance de Batory correspond à la réalité morose des années 1970 conditionnées par le carcan de la politique post-stalinienne, où le quotidien est fait de manque, de censure et de grisaille. Sa scolarité étant difficile, les instituteurs stigmatisent cet enfant rêveur et absent souhaitant devenir peintre: « Peintre?! enfin, pourquoi pas, mais il faudra bien faire attention à ne pas tomber de l’échelle..! ». à 15 ans, son parcours artistique débute, reçu sans difficulté au Lycée des Arts Plastiques, puis passant brillamment le concours d’entrée de l’École Supérieure des Arts Plastiques de Lodz, il déploie ses ailes, travaille avec enthousiasme et succès. A cette époque, l’école polonaise de l’affiche est à son apogée, les travaux de ses concepteurs sont connus mondialement, les enseignements aux Beaux Arts bénéficient des meilleurs compétences et procédés. Batory en sort en 1985, diplômé graphiste avec spécialisation « affiches ». Début des années 1990, las du système où domine la censure, après avoir été en contact étroit avec des artistes occidentaux, il arrive à Paris. Il commence à y travailler dans une agence graphique et enfin, s’installe à son propre compte.

L’art de l’information visuelle

Talentueux et à la pointe des techniques de l’image, Batory attribue à l’information verbale une interprétation plastique originale et fidèle. Des commanditaires importants affluent, ses travaux captivant sont visibles dans les rues, musées, salles d’expositions et librairies. Il crée autant d’affiches culturelles, que de lignes graphiques et de graphismes éditoriaux avec la conception de catalogues, brochures, couvertures de livres ou de pochettes d’enregistrement musicaux.
Ainsi dès 1994, La Cité des Sciences et de l’Industrie, La Villette, lui confie régulièrement le graphisme de ses expositions. En parallèle, il travaille sur la ligne graphique avec affiches et publications pour le Théâtre National de la Colline, puis pour le Théâtre des Bouffes du Nord et enfin pour le Théâtre National de Chaillot. Sa collaboration avec des maisons d’édition va de Larousse et son Guide des métiers-Jeunesse à Drzewo Babel, éditeur polonais de Paulo Coelho.
Par ailleurs, il conçoit affiches, graphismes d’ouvrages de référence et couvertures d’enregistrements musicaux pour l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) et son Ensemble Intercontemporain, crée des brochures pour le Centre Georges Pompidou, le graphisme d’expositions pour la BNF (Bibliothèque Nationale de France), et la ligne graphique complète pour Le Forum des Halles… Son empreinte graphique à l’encre de Chine figure sur la collection spéciale des CD « Signatures » de Radio France regroupant les meilleurs enregistrements de musique expérimentale, improvisée ou libre de jazz, blues, gospel ou flamenco avec des musiciens d’exception comme Olivier Manoury, Marc Chalosse, Luc Ferrari ou Ravi Prasad…
Depuis vingt ans, il enchaine les expositions tant à Pékin, Québec, Quito, qu’à Paris, Bruxelles, Glasgow, Berlin, Sophia, Poznan ou Varsovie.
Ses travaux sont reconnus et récompensés : dès 1996 par le prix du Public, lors du Festival de l’Affiche de Chaumont pour « La femme sur le lit » avec son étonnante image de l’oreiller aux tétons roses, ce cous-seins, pour terminer par la Médaille d’argent à la Biennale Internationale d’Affiche à Chicago en 2008 pour l’affiche dédiée au Festival de piano à Enghien-les-Bains, la si expressive représentation de la diversité-virtuose, « Piano-Folies ».

Art de l’étonnement

Son œuvre a pour but de signaler, mais ses énigmes esthétiques ne livrent pas leur contenu instantanément. La rencontre fortuite du regard avec l’image proposée au coin de la rue provoque un choc. Ses paradoxes visuels, tout en tendresse-émotion-humour aiguisent la perception, Batory crée du sens, dialogue avec son spectateur. Il emploie des techniques sophistiquées et son atelier est un véritable laboratoire de recherche graphique. Ses photomontages donnent naissance aux avatars visuels captivants, faits de fusion d’éléments vestimentaires et des parties du corps comme ces bottes-pieds, ou ce corset-hanches féminines. Les objets du quotidien sont détournés en instruments de musique telle cette baguette de pain-saxophone ou ce cornet de frites-trompette… Complice de son commanditaire, il vise juste. Une fois décodée, l’image livre son message.

L’exposition parisienne nous a présenté près de cent œuvres de Batory regroupées par domaine : le théâtre, la musique, la danse, l’édition. Elle dévoile avec une simplicité, sans doute plus complexe, les coulisses de la conception. En effet, son atelier est reconstitué pour l’occasion nous laissant découvrir les objets de son quotidien et ses outils de travail : ses livres, ses ordinateurs, ses appareils photo… Pour montrer sa démarche artistique, Batory met en scène divers objets dans des vitrines magiques créées par l’artiste polonaise installée à Düsseldorf, Justyna Tuha : des verres à vin implantés dans une couronne, un bout de corde, une racine d’arbre, des fleurs fanées ou un gant en cotte de maille-inox… Nous y découvrons également les différentes étapes de la conception d’affiches dès la commande : l’analyse poussée et rationnelle du sujet avec notes et dessins, la sculpture, le modelage, l’assemblage, le travail typographique, la photographie. Introduits ainsi dans l’univers propre du créateur, nous pouvons mieux goûter sa liberté de conception et apprécier davantage encore son langage où le signifié côtoie le signifiant. A déguster sans modération!

JOANNA KUJAWSKA

www.michalbatory.com

Musée des Arts Décoratifs – 107, rue de Rivoli, 75001 Paris www.lesartsdecoratifs.fr

(*) allusion à Stefan Batory, roi électif de Pologne, XVIe siècle.

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