J’ai tenu à venir ici durant ce qui est la dernière semaine de mes cinq années à la Présidence du Conseil européen, et même, sans vouloir dramatiser, la dernière semaine de ma vie politique et publique tout court…  […]  Je crois savoir que « le plan en deux parties » n’est plus obligatoire à Sciences Po, et je le ferai donc en trois parties, que je placerai sous le signe des trois grandes responsabilités politiques.

  • La première: Parler vrai, quant à notre situation et quant aux efforts demandés;
  • La seconde: Créer de l’espoir, en particulier, en mobilisant tous nos leviers économiques pour retrouver la croissance économique.
  • Et la troisième: Établir et veiller à la confiance – la confiance entre pays, entre institutions, entre les dirigeants. Dans la politique européenne, elle est primordiale.

***

A l’invitation du Centre d’études européennes de Sciences Po et de Notre Europe – Institut Jacques Delors, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, s’est exprimé cette semaine à Sciences Po. Crise financière, changements climatiques, montée de l’euroscepticisme… À quelques jours de la fin de son mandat, il est revenu sur les enjeux européens qui ont marqué ses cinq années passées à la tête du Conseil européen. Retrouvez l’intégralité du débat filmé dans notre vidéo ci-dessous.

Avec Renaud Dehousse, directeur du Centre d’études européennes de Sciences Po.
Débat introduit par Pascal Lamy, président d’honneur de Notre Europe- Institut Jacques Delors, et animé par Yves Bertoncini, directeur de Notre Europe – Institut Jacques Delors.  Accueil par Frédéric Mion, directeur de Sciences Po.

« Cinq ans à la tête du Conseil européen : leçons et défis », 25 novembre 2014, 17h15-19h00.

 

Extraits choisis puis intégralité du discours ci-dessous.

Les causes de la faible croissance économique ne sont pas à chercher du côté de la politique monétaire, qui est accommodante. Elle n’est plus désormais à chercher du côté de la politique budgétaire, dont l’orientation n’a pas pesé sur la croissance en 2014. Maintenant, il faut se concentrer sur les réformes structurelles, en particulier améliorer le fonctionnement des marchés du travail. Pour cela, les autorités nationales sont en première ligne. Combattre la dualité entre ceux qui sont bien protégés et ceux avec des emplois précaires, souvent des jeunes, des femmes, des immigrés…. J’y ajoute que le taux de chômage moyen atteignait déjà 8 pourcent avant 2008 ; notre chômage est structurellement élevé… Le Conseil européen du mois dernier – le dernier que j’ai présidé – a salué l’intention de la nouvelle Commission de stimuler des investissements supplémentaires, pour un volume de 300 milliards d’euros sur les trois années à venir. La responsabilité des Etats-membres, ici aussi, est très grande. Stimuler les investissements, en termes économiques, c’est agir du côté de la demande et du côté de l’offre en même temps!

[…]

Malheureusement, je n’en sors pas convaincu que tous les dirigeants européens soient déjà prêts à tirer les bonnes conclusions de la fragmentation de nos marchés. Je pense avant tout à l’énergie et aux télécommunications. En Amérique, en Chine, il n’existe que trois ou quatre opérateurs de télécommunications, alors qu’en Europe nous avons près de quatre-vingts opérateurs pour « seulement » 500 millions de consommateurs. Cela plombe les programmes de recherche et les investissements d’avenir ; cela voue à l’échec nombre de nos entreprises à l’international. Même si nous avons fait des progrès sur cette question (je pense au sommet européen d’octobre 2013), j’ai senti qu’il y avait encore une résistance importante. Dommage, car l’ère des entreprises nationales « championnes » est vraiment passée. C’est un sujet que mon successeur Donald Tusk devra reprendre, tout comme celui du marché de l’énergie et « l’Union de l’énergie » – un sujet qui lui tient à cœur, à lui aussi, et où l’Europe devra mieux mobiliser ses forces et ses ressources pour rester maîtresse de son destin.

[…]

Depuis le début de mon mandat, j’ai considéré que c’était une responsabilité particulière d’un Président du Conseil européen, que celle d’agir comme « gardien de la confiance » entre tous ces acteurs [pays, institutions, dirigeants politiques]. Je m’explique. Les juristes ou politologues parmi vous savent que le Traité de l’Union européenne définit le rôle et les missions du Conseil européen et de son président en à peine quelques lignes. L’institution ne dispose pas de pouvoir législatif et n’est pas associée aux décisions concrètes de gestion. C’est essentiellement une instance politique, dont le rôle est de définir la direction générale à suivre ou, comme le dit le traité, de « définir les orientations et les priorités politiques générales ». Donc elle ne doit pas s’occuper de la gestion au jour le jour – les autres institutions de l’Union le font beaucoup mieux dans le cadre éprouvé de la « méthode communautaire » – mais plutôt passer à l’action lorsque des cas particuliers se présentent: changer le traité, arrêter le budget, et aussi, gérer les crises…

[…]

Dans la conférence de presse où j’ai présenté Donald Tusk comme président-élu du Conseil européen, le 30 août dernier, j’ai mentionné les trois grands défis européens dont il aura à s’occuper : la croissance…, l’Ukraine…, mais aussi : « la question britannique ».

[…]

Sans le Royaume-Uni, l’Europe serait blessée, amputée même – donc on doit tout faire pour l’éviter –, mais elle survivra. Sans la France, l’Europe – l’idée européenne – serait morte. Le projet, conçu dans ce pays depuis des siècles et né à Paris dans la Salle de l’Horloge du Quai d’Orsay, ne pourrait survivre.

[…]

La France ne peut se replier sur elle-même, comme le voudrait une partie radicale et de la gauche et de la droite. Même le Tour de France ne se limite plus à l’Hexagone! On ne peut être immobilisé par la peur de l’ouverture, de la mondialisation, voire de l’Allemagne. Au contraire: la France peut et doit donner de grandes impulsions à l’Union – et d’ailleurs, de préférence ensemble avec l’Allemagne, votre partenaire historique.
C’est cela que je suis venu vous dire ce soir. La France a besoin de l’Europe, car la France n’est grande qu’en Europe. Mais l’Europe a elle aussi plus que jamais besoin de la France, d’une France économiquement forte, libérée des passéismes de tout genre, confiante en elle-même. L’Europe a besoin de la France parce que, dans le monde tel qu’il est et tel qu’il sera, c’est à votre nation, avec vos voisins et partenaires, de proposer de nouveaux projets, de dessiner une direction, d’animer, encore une fois, le travail commun pour l’avenir de notre continent. Et vous pouvez réussir, cette fois encore, pourvu de ne pas y voir une corvée, mais une grande tâche, un projet historique, une belle mission, digne de ce beau et grand pays.

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