L’APGEF a eu la chance de rencontrer à Singapour, puis à Paris, Isabelle Hérouard, professeur « de petits rats » de l’Opéra National de Paris et de la School of the Arts à Singapour – SOTA. Elle cultive depuis trente ans ses deux passions : la danse de caractère et la Pologne. Portrait d’une artiste française à l’âme slave.

Image1

Le rendez-vous nous est fixé dans un café parisien à proximité du parc Monceau où Isabelle Hérouard apprécie l’ambiance chaleureuse et conviviale. Démarche et allure élancées, visage souriant, regard lumineux, Madame le Professeur nous introduit dans son univers fait de passion, de beauté et d’exigence. Avec un enthousiasme certain, elle conjugue avec élégance sa langue natale avec un polonais fluent en nous livrant le récit de son parcours artistique hors du commun.

La Pologne – de la magie d’une rencontre à la transmission :
Née à Paris de parents français, Isabelle suit très tôt des études de danse et de musique classique. Elle est soutenue dans cette voie exigeante par sa mère, elle-même sensible à la musique et marquée, depuis l’adolescence, par sa rencontre avec la Pologne. En effet, à l’âge de 13 ans, faisant un séjour dans un sanatorium du centre de la France, tenu par des religieuses polonaises, elle est touchée par l’atmosphère paisible du lieu, la gentillesse des sœurs mais également par la musicalité de la langue, les chants et les danses folkloriques comme le Trojak . Tombée ainsi sous le charme de la culture slave, elle transmet quelques années plus tard cet attachement à sa fille, Isabelle.

A son tour, Isabelle se passionnera durablement pour le pays, sa musique et ses danses traditionnelles. Aujourd’hui, la transmission se poursuit, elle élève à son tour sa propre fille « à la polonaise » en lui choisissant une jeune fille au pair du pays.

Une question de caractère :
Séduite par la danse classique depuis son enfance, encouragée et soutenue dans ce projet par son père, c’est à l’âge de 16 ans qu’Isabelle se tourne vers la connaissance et la pratique de la danse de caractère, danse populaire de différents pays, adaptée à la représentation scénique.

A 18 ans, Isabelle Hérouard fait une rencontre qui va définitivement sceller son parcours. Elle se voit proposer son premier travail pédagogique consistant à diriger les exercices d’échauffement pour les danseurs d’une troupe polonaise lors d’un festival international de folklore à Épinay sur Seine. La jeune femme prend alors conscience que les danses de caractère de Pologne évoquent pour elle ce à quoi elle est sensible « alliant tonicité et lyrisme, énergie et émotion par leur si particulier tempérament romantico-mélancolique slave » nous confie-t-elle en riant.

Pour la Pologne, les danses nationales datant du XVIe siècle, jouées à l’occasion de cérémonies, de mariages ou de bals sont la Polonaise , la Krakowiak ou le Mazur . Elles ont influencé de nombreux compositeurs dont Frédérique Chopin (1810-1849), Ignacy Jan Paderewski (1860-1941) ou Karol Szymanowski (1882-1937). D’autres danses traditionnelles régionales, peut-être moins connues du grand public mais aussi entrainantes, sont le Kujawiak, l’Oberek, les danses de Silésie, Rzeszowskie, Kurpie, Podhale.

Image4

Suite à cette expérience, le défi est lancé. La jeune danseuse, enchantée par ce premier contact, aspire à la découverte de la lointaine contrée, si proche déjà. Aussi, elle forme le projet de se perfectionner en danse de caractère en Pologne. Admise au stage d’été de l’Université de Lublin, elle y suit les cours du Professeur Zbigniew Kwiatkowski.

A l’époque, ces cours créés spécialement pour des Polonais vivant à l’étranger y sont donnés, le diplôme étant sanctionné par un examen final au bout de trois saisons.
Pour la petite parisienne, c’est son travail de danseuse, sa formation musicale et sa persévérance pour apprendre la langue de Mickiewicz qui lui permettent de réussir cette étape. « La sonorité de la langue et sa musicalité me plaisaient beaucoup, même si au début du stage, je ne connaissais que deux mots de la vie courante herbata et dziekuje » se souvient-elle.

Isabelle multiplie ses voyages en Pologne, créé de nouveaux liens et, aidée par ses amis, parle de mieux en mieux le polonais. Elle poursuit les stages d’été à Plock, à Lublin, puis enrichit son travail sur les danses nationales et régionales polonaises auprès de la compagnie de Śląsk , avec l’aide de sa directrice, Elwira Kamińska. En 1988, sa rencontre à Gdańsk avec Hanna Chojnacka , figure dans l’enseignement de la danse de caractère, sera décisive. Sous son égide, Isabelle se prépare au concours de Professeur de l’Ecole du Ballet de l’Opéra de Paris.

Elle crée à Paris une association de danses polonaises « Rzeszowskie » dispensant des cours et se rendant active lors des fêtes et divers événements culturels. Quelques années plus tard, elle épouse un américain, son élève de danse de caractère à l’association. Le couple décide d’organiser leurs noces en Pologne. C’est à l’âge de 40 ans qu’Isabelle Hérouard obtient le poste très convoité de Professeur à l’Opéra National de Paris. Depuis 1993, elle y enseigne les danses de caractère.

Image3

La musique et la danse, une osmose particulière :
Pédagogue apprécié, Isabelle Hérouard obtient une reconnaissance internationale. Elle travaille pour l’Ecole du Ballet de l’Opéra de Paris, Varsovie, Chicago, Zurich et tout récemment pour l’Ecole d’Art de Singapour – SOTA où elle dirige une classe de danse de caractère polonais.

La musique tient un rôle fondamental dans ses enseignements. Perfectionniste, elle auditionne attentivement et sélectionne avec rigueur ses pianistes. « J’apprécie de travailler tout particulièrement avec des musiciens sensibles, énergiques et partageant ma passion pour la musique du pays de Chopin. Mais, à défaut d’un pianiste, plutôt que d’utiliser un simple enregistrement, je préfère accompagner au piano ou encore à l’accordéon moi-même mes cours.»

La danse polonaise à Singapour :
Fondée en 2004, SOTA forme de jeunes élèves âgés de treize à dix-neuf ans à l’exigence de carrières artistiques. Dans le cursus de danse classique, l’étude de la danse de caractère est organisée en modules de trois heures hebdomadaires. Isabelle Hérouard exige de ses étudiants une réelle implication : ils doivent témoigner sans relâche d’une attitude concentrée se traduisant tout d’abord par la présence du regard. On débute par des exercices d’échauffement et d’interprétation, le cours se poursuit par le travail des pas, vient ensuite la chorégraphie. La volonté de transmettre une émotion aux spectateurs est omniprésente, le danseur doit captiver et émouvoir son public. Hormis les compétences techniques corporelles, le regard est donc essentiel et la sensibilité et le charisme sont deux qualités fondamentales. Un partage du ressenti et un échange sur l’interprétation terminent toujours chaque cours. A Singapour, seize élèves suivent cet enseignement durant plusieurs mois. Une séance de démonstration, ouverte au public, de danses de caractère polonaises présentées par des jeunes filles singapouriennes couronne la fin de l’année.

sOTA1

Entre l’Europe, l’Asie et les Etats-Unis, Isabelle Hérouard a également en charge le suivi du parcours de nouvelles étoiles montantes dont celui de Pierre-Arthur Raveau, aperçu récemment dans Don Quichotte à l’Opéra Bastille, où il incarne avec talent le rôle principal de Basilio, et dans la Sylphide dans le rôle de James, promu premier danseur depuis début novembre.

Don-Quichotte_Mathilde-Froustey_Pierre-Arthu-Raveau

La danse pour Isabelle Hérouard est «une recherche de trente ans, guidée par le goût des autres» comme elle aime la définir. Au-delà de l’art, il est question de quête, de découverte et de connaissance d’une autre culture et d’autrui. C’est par sa volonté de transmettre sa passion aux jeunes générations d’artistes, à travers son amour de la danse et de la Pologne, en Asie et ailleurs, qu’Isabelle Hérouard incarne une certaine idée de la diplomatie.

Agatha Lefebvre

 

Share This