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Lukasz Ogrodnik, chercheur à l’Institut polonais des relations internationales

Le groupe de Višegrad peut être considéré comme le pendant d’Europe de l’Est du Triangle de Weimar.

Dans cette optique, et pour terminer notre série sur ces accords de coopération intra pays européens peu connus, Łukasz Ogrodnik, chercheur à l’Institut polonais des relations internationales a accepté de répondre à nos questions sur le Groupe de Višegrad.

Q : Qu’est-ce-que le groupe de Višegrad ?

Le groupe de Višegrad est une plateforme de coopération entre quatre pays. Lorsque le groupe de Višegrad a été formé en 1991, ils n’étaient que trois pays : la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Pologne.

Lorsque la Tchécoslovaquie s’est effondrée en 1993 et s’est scindée en deux pays (République Tchèque et Slovaquie), les deux nouvelles entités ont rejoint le groupe de Višegrad.

La seule institution solide liée au groupe de Višegrad est le Fonds International de Višegrad qui s’occupe de distribuer des bourses pour différents projets. Le triangle de Višegrad, devenu le V4 en 1993, est comparable au Triangle de Weimar en cela que c’est une plateforme de coopération entre quatre pays d’Europe de l’est basée sur des rencontres ministérielles, rencontres gouvernementales…

Dans les années 90, les pays d’Europe de l’Est, avec la chute du mur de Berlin et la fin de l’Union Soviétique, ont commencé à montrer un intérêt plus poussé pour l’Ouest : une adhésion à l’Union Européenne par chacun des pays et l’accession à l’OTAN étaient les deux objectifs de base à l’agenda du groupe de Višegrad. Ces deux objectifs ont finalement été achevés en 2004 avec l’adhésion formelle à l’Union Européenne de ces pays.

Maintenant que ces objectifs ont été atteint, il a été compliqué pour le groupe de Višegrad de redéfinir de nouveaux objectifs – c’est, par ailleurs, une discussion qui est toujours en cours.

Q : Comment est-ce-que le groupe de Višegrad a évolué depuis 1991 ?

On peut définir trois moments marquants dans la formation et l’évolution du groupe de Višegrad : 1991, lorsque le groupe est né pour achever des objectifs communs.

En 2004, lorsque les quatre pays ont finalement joint l’Europe, qui était, je le rappelle, l’un des objectifs formateurs du groupe de Višegrad.

Puis, à partir de 2014, la crise des réfugiés, qui est toujours en cours : le groupe de Višegrad a dit non aux quotas proposés par l’Europe sur ce sujet et donc nous pouvons voir, à ce moment-là, une cohésion de pensée sur le sujet, une position commune et forte émerger pour la première fois. Je dirais que c’est l’un des moments qui a aidé le groupe de Višegrad à définir de nouveaux objectifs pour eux-mêmes et pour revitaliser leur intérêt pour le groupe.

Il faut bien comprendre que, à l’instar du Triangle de Weimar, le groupe de Višegrad n’est pas institutionnalisé. Cependant, le groupe de Višegrad permet aux quatre pays de faire entendre leur voix de façon plus ferme que lorsqu’ils font des propositions individuellement.

Q : Parlons maintenant du groupe de Višegrad qui s’affirme dans leurs propositions sur la scène européenne. Va-t-on entendre parler de plus en plus du groupe ?

En Septembre 2016 s’est déroulé le fameux sommet européen à Bratislava où le groupe de Višegrad a fait une déclaration commune. Donc, on peut dire que le groupe de Višegrad est en train d’essayer de marquer des points sur la scène européenne. Nous pouvons, par exemple, parler du concept de “solidarité flexible”, que le groupe de Višegrad a mentionné durant cette déclaration commune.

La “solidarité flexible” est un concept qui n’est pas encore défini, mais le groupe de Višegrad l’a principalement utilisé au sujet de la crise des migrants. Le groupe va devoir essayer de définir plus en détail ce qu’ils entendent par là mais, on peut déjà le définir par : les pays qui ne veulent pas des quotas de réfugiés comme définis par l’Europe mais seraient prêt à aider la communauté internationale à la hauteur de leurs moyens (grâce à de l’envoi de main-d’œuvre où il y a besoin, envoi de fonds pour l’aide internationale…).

Le groupe de Višegrad a une menace potentielle que ces quatre pays pourraient être isolés donc l’option la plus sécurisée serait d’aller dans le sens de ce que veut l’Europe plutôt que d’essayer de trouver leur propre voix.

La Slovaquie est présidente de la Commission Européenne, ce sont des gestes qui permettent au groupe de Višegrad d’être remarqué.

Le groupe de Višegrad est plus ou moins pris sérieusement mais ils ne sont pas une voix prédominante en Europe. Pour reprendre l’exemple de la proposition de “solidarité flexible”, ce concept a ensuite été repris par Angela Merkel, qui a dit que c’était une proposition intéressante pour débuter les négociations. D’autres éminents politiciens européens ont aussi mentionné ce concept à diverses reprises ; on peut évoquer Martin Schultz.

Les voix du groupe de Višegrad sont régulièrement entendues mais on peut voir que les pays du groupe de Višegrad ne sont pas unis sur tous les sujets.

Par exemple, les sanctions en Russie, même si ces sanctions sont votées pour être prolongées à chaque fois, la Hongrie et la Slovaquie ne veulent pas prolonger indéfiniment ces sanctions. Il y a cette sorte de discorde latente entre les quatre pays sur ce sujet.

J’aimerais aussi évoquer le Brexit, sujet sur lequel les pays du Višegrad groupe sont unis : ils ont insisté sur le fait qu’ils ne veulent pas de compromis.

Pour terminer, je dirais que le groupe de Višegrad commence à être pris en compte sur la scène européenne mais il existe toujours de fortes divisions entre les quatre pays. Par exemple, la Pologne veut changer les traités fondateurs de l’Europe ; cependant, la Slovaquie et la République Tchèque ne sont pas d’accord sur ces critiques. Je suis donc un peu sceptique sur la solidité de leurs propositions, pour le moment.

Mais je pense que le groupe de Višegrad travaille de plus en plus à limiter leurs différences sur la scène européenne pour apporter des propositions concrètes. De plus, c’est le bon moment pour le groupe de se mettre en avant : avec le Brexit, le groupe de Višegrad a perdu un allié – qui partageait la plupart de leurs positions et était une influence en Europe – donc le groupe de Višegrad doit apprendre à se mettre en avant par eux-mêmes.

Q : Peut-on imaginer que le groupe de Višegrad permette un renforcement réel de la coopération entre ces quatre pays d’Europe de l’Est, au-delà de leur affirmation sur la scène européenne ?

Laissez-moi répondre en commençant par une citation de l’auteur tchèque Milan Kundera : « L’Europe centrale, c’est une très grande diversité dans un petit espace ».

Donc, pour comprendre la diversité de ces pays et en faire une force plutôt qu’un lieu de division, il y a un besoin fondamental de coopération renforcée.

Cette diversité devient aussi une force de cohésion grâce aux actions du groupe de Višegrad.

Au-delà de ce que le groupe de Višegrad essaie de produire sur la scène européenne, on peut parler des propositions au sein-même du groupe de Višegrad : par exemple, l’autoroute des Carpates qui traverserait les quatre pays du groupe de Višegrad. C’est le défi du groupe de Višegrad : réussir à donner une voix plus forte aux pays d’Europe de l’Est tout en renforçant la cohésion entre ces pays.

 

Par Marion Ghibaudo
@MarionG321

 

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